[La Roseraie]
Charles demeura à quelques pas de Clémence, jetant un oeil las et démoralisé sur le lac brumeux. Il avait passé tellement de temps dans cet endroit... Le revoir après s'en être écarté était comme retrouver les symptômes d'une maladie qu'on croyait vaincue. Comme une nausée mentale.
Il n'opposa aucune réaction aux consignes de la doyenne des fantômes mais fronça les sourcils en la voyant dresser les bras au-dessus de l'eau... Et encore plus en l'entendant prononcer de simples paroles, comme une incantation.
Il était de plus en plus dubitatif quant à l'efficacité de cette méthode et se sentait humilié rien qu'à l'idée de devoir répéter ces gestes. Il marmonna pour lui-même :
Je ne suis pas son ami mais juste son mari, on en serait pas là si elle avait eu confiance en moi.
Sa bouche se tordit en sourire cynique. Il poussa un soupir agacé et parut subitement s'intéresser à un amas de brume au loin. Il mit un moment avant de consentir à grommeler en boucle deux mots incompréhensibles dont la sonorité pouvait vaguement s'apparenter à "viens" et "Diane".
C'est ridicule... Depuis quand faut-il des incantations ? Je lui ai parlé encore et encore, de toutes les manières possibles, sans jamais obtenir la moindre réponse.
Au bout d'un moment, il laissa Clémence scander ses "Viens Diane." toute seule et se perdit dans la contemplation du lac, comme en transe. A force de fixer l'eau sombre, à peine troublée par quelques insectes y glissant leurs pattes, il avait l'impression de s'en approcher très lentement et de perdre conscience de son environnement. Toutes ses pensées étaient dirigées vers son épouse, des visions de son cadavre noyé, son visage qui lui était apparu un jour pendant ses errances spectrale. Le crépuscule était gris, il avait plu toute la journée. Il voyait les nuages lourds et noirs se refléter dans l'eau sombre, les reflets glissants, sinueux, sur cette surface lisse comme l'huile.