Un grand esprit, un plus petit et des livres

Ne pouvant pas traverser les murs sous le regard du client qui la suivait, Marie n’avait d’autre choix que d’emprunter le chemin traditionnel…et bien plus long, bien sur. Le regard fixé vers la porte suivante, l’esprit devait se munir d’une bonne dose de volonté et de concentration pour éviter de devenir transparent et immatériel. Au bout de la seconde porte, Marie avait même hésité à demander à l’homme de prendre les devants, mais elle avait finalement préféré éviter cela, étant donné que celui qui la suivait n’avait décidément pas l’air d’appartenir au genre patient.

D’ailleurs, que voulait-il dans la bibliothèque? Marie ne s’était pas encore posé la question, étant donné qu’elle avait suffisamment à faire en essayant de se rappeler du chemin en franchissant un obstacle après l’autre sans se trahir.
Finalement, le fait de parcourir le chemin elle-même aida Marie à se le remémorer. Cela faisait pas loin d’un siècle qu’elle ne s’y était pas rendue en se donnant la peine d’ouvrir les portes sur son passage, et si Marie n’avait pas concentré toutes ses pensées à la seule idée de tenir le coup, elle aurait trouvé cela un brin étrange.

Enfin, la jeune femme arriva devant la large porte à doubles battants qui menaient à la bibliothèque. Marie fixa son regard sur les poignées, força ses doigts à s’y agripper aux et à les tourner sans passer à travers. Avec un petit soupir de soulagement, la jeune servant poussa la lourde porte et entra dans la grande bibliothèque du château.
« Voila Monsieur…c’est ici », dit-elle bien inutilement en parcourant la pièce du regard. Cela faisait des années que Marie n’y avait pas mis les pieds plus de deux minutes, mais elle su immédiatement que rien n’avait changé depuis son époque…rien…ou presque. La fée électricité y avait fait son apparition, les rideaux avaient été remplacés et la latte grinçante du vieux parquet également.

Sans se soucier de l’homme qui la suivait, Marie fit quelques pas et laissa errer son regard sur le nombre impressionnant de volumes qui s’y trouvaient. De son vivant, elle avait espéré y trouver des réponses pour aider ces fantômes qui l’entouraient…et voila qu’elle se retrouvait à la même enseigne qu’eux. Etais-ce des réponses que le vampire était venu chercher ? Et si oui, des réponses à quoi ?

Eric eut le plaisir de constater que sa guide semblait se souvenir du chemin, hormis une certaine lenteur au moment d’ouvrir les portes, elle ne ralentissait presque pas, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Il avait en effet un instant redouter, vu les explications brumeuses, qu’ils durent revenir sur leurs pas à plusieurs reprises.
La satisfaction de bientôt atteindre la première étape de son but occultait tout désir mental ou à voix haute de présenter des excuses pour son a priori complètement faux.
Ses pas raides et rapides résonnaient sur le sol comme un tambour de galérien. Plus vite, on ne ralentit pas, et les pas se faisaient plus présent à chaque changement ou chaque arrêt.
Eric espérait voir derrière la prochaine porte la bibliothèque et était déçu et irrité quand ce n’était pas le cas.
Le doute revenait, plus pernicieux qu’avant, peut-être la bibliothèque était encore là mais les ouvrages ? Ils pouvaient être changés pour des plus récents. Cette pensée lui étreignait à chaque fois le cœur doutant plus qu’elle semblait réaliste. Les doutes appartenant à l’ordre du probable étaient les plus difficiles à chasser et ceux qui venaient le plus souvent le hanter.
Lorsque enfin il entra à la suite de Marie dans la bibliothèque, une expression presque humaine se peignait sur son visage, tant il semblait avoir attendu d’être ici. Une expression proche d’un noyé à qui on lançait une bouée de sauvetage, alors que son regard contemplait les rayons remplis de livres. C’était compréhensible, puisqu’il avait attendu d’être là depuis qu’il avait lu cette légende qui parlait du château.
Avec une humilité étonnante, il s’approcha du livre le plus proche et le saisit avec précaution.
Il avait été rassuré de trouver autant de livres anciens qu’actuelles.
Son émotion se tut vite en lui quand il se rendit compte que la domestique était encore là.
Il se racla la gorge, on aurait presque juré qu’il était gêné, et son regard renonçait à quitter le livre qu’il tenait toujours.

« Merci… vous pouvez disposer. » Dit-il distraitement.

Alors que Marie laissait toujours errer son regard sur les milliers de livres réunis sur des étagères qui touchaient presque le plafond, l’homme qui l’avait suivi avait également marqué un temps d’arrêt, juste avant de s’approcher et de prendre un livre au hasard. Lorsque Marie reporta son regard sur lui, elle constata que quelque chose avait changé dans son visage. L’expression renfermée et hautaine avait disparu et, à ce moment précis, cet homme donnait l’impression de tenir le Graal entre ses mains.
Marie plissa le front et observa les traits de l’inconnu, qui semblait avoir complètement oublié sa présence. Mais que cherchait-il ici ? Faisait-il partie de ces illuminés qui voulaient à tout prix percer le secret du château hanté ? Était-il assez fou pour se rendre sur place et passer ses jours et ses nuits dans les livres alors que sa santé était bien loin d’être bonne ? Ou alors…recherchait-il autre chose ?

« Merci… vous pouvez disposer. »

Une fois de plus, Marie fut prise au dépourvu. L’homme semblait s’être soudain rendu compte qu’elle était toujours là et qu’elle se tenait encore au milieu de la pièce. La servante avait accompli son devoir, elle pouvait donc se retirer...
Alors que Marie avait cessé d’obéir aux ordres des nobles après avoir rendu son dernier souffle, elle compris pourtant qu’on lui avait offert une chance de s’éclipser discrètement, sans avoir à répondre à des questions gênantes. Sans hésiter, Marie se dirigea donc vers la porte de sortie et rassembla une dernière fois les forces qui lui restaient afin de pouvoir poser sa main sur la poignée.

Pourtant, au moment où elle allait ouvrir la porte, quelque chose la retint.

Cet homme allait rester ici alors que ses jours étaient très probablement comptés. Marie savait reconnaître une vraie toux de malade, et la seule chose qui pouvait peut-être sauver la vie de cet homme-vampire était bien un changement radical de climat. Pourtant, il avait l’air bien décidé à rester ici, alors qu’il était bien loin de se douter du danger qu’il courait. La Duchesse Anne rôdait dans les couloirs et s’en prenait très régulièrement aux vivants, et cet individu malade était une victime toute trouvée. Et même en admettant que la Duchesse se désintéresse de lui, un danger bien plus grand le guettait entre ces murs…
Si cet homme restait trop longtemps, il était perdu, soit par la méchanceté de l’une, soit par l’égoïsme notoire de l’autre, cette teigne qui les avait tous menés à leur perte…

Marie n’avait jamais porté un amour débordant aux nobles, et surtout pas à ceux qui la regardaient de haut. Au fil des ans, elle avait même été l’instigatrice de quelques tours assez méchants vis-à-vis de jeunes nobles qui s’étaient approchés un peu trop près de la tour de garde. Pourtant, entre le fait de donner une bonne leçon de terreur à ces jeunes coques et celui de ne rien faire alors que le château était entrain de réclamer une nouvelle victime, il y avait une différence.

La main toujours posée sur la poignée, Marie se retourna lentement et observa l’inconnu, toujours plongé dans son livre.
« S’il vous plait, Monsieur…j’ignore ce que vous êtes venu chercher ici… » Soudain, Marie se rappela que les murs du château avait des oreilles, des oreilles appartenant peut-être aux sbires de la Dame de Fer ou, pire encore, à ceux de la Dame Blanche. Marie lâcha la poignée et s’approcha de quelques pas, histoire de pouvoir baisser la voix.
« …Mais vous devriez quitter ces lieux le plus vite possible. Croyez-moi : De cet endroit, rien de bon ne peut venir… »

Tandis qu’il entrevit la domestique se rediriger vers la porte, Eric était prêt à se mettre au travail. Un sentiment d’urgence l’envahissait plus qu’avant, puisqu’il commençait vraiment ses recherches. Peut-être ne serait-il plus vivant demain matin ou peut-être tiendrait-il la semaine comme il l’avait dit au réceptionniste. Qui pouvait savoir ? La prochaine crise pourrait lui être fatale. Eric devait donc se hâter de trouver ce qu’il cherchait et prier pour qu’il ne se soit pas lancer vers une fausse piste. Si cela s’avérait être le cas, il n’aurait plus le temps de chercher une autre solution.
Il déposa sa trouvaille sur une table et contemplait de nouveau les étagères. Il prit d’abord les livres qui lui paraissaient les plus âgés, comme çà, sans se donner la peine d’en lire le titre.
Une petite pile commençait à se former sur la table. Eric sentait bien que la domestique était encore là, main sur la poignée de porte, mais cela était le cadet de ses soucis du moment qu’on ne le dérange pas.
Tout au plus, une petite part de son esprit se demandait ce qui empêchait la domestique de partir alors qu’il l’avait congédié. Mais il avait d’autre préoccupation pour s’étendre sur le sujet et surtout pour adresser la parole à la domestique.

*Bah, qu’elle reste du moment qu’elle garde le silence !* Pensa-t-il en ouvrant un nouveau livre.

Il fallait croire que quelqu’un voulait le contredire puisque à ce moment là, la domestique se retourna vers lui et lui adressa la parole.
Il eut un rictus d’exaspération, trop mince pour être remarqué. Il voulait juste étudier, était-ce trop demander ?

« Il vaut mieux en effet que vous l’ignorez. » Coupa-t-il sur le ton de quelqu’un qui garderait un secret et ne souhaiterait pas en parler.
Au contraire de lâché l’affaire, la domestique s’approcha de lui et continua.
Cette fois, les paroles l’intriguèrent. De cet endroit, rien de bon ne peut venir. Alors qu’il entendit cela, ses yeux fixèrent la domestique comme s’il la voyait pour la première fois. L’étonnement se lisait sur son visage alors qu’il retournait la phrase dans son esprit.

*Sait-elle quelque chose ?*

L’étonnement laissa la place a un regard entendu, comme si tout d’un coup, ils étaient dans une sorte de confidence.

*Bien sûr, elle doit parler des soi-disant fantômes, les domestiques sont si vite effrayé par les légendes* songea-t-il compatissant à l’égard de la domestique. Lors de ses prestations chez les nobles, les serviteurs étaient toujours les premiers à crier lorsque la table bougeait sous l’impulsion d’un faux esprit.

« Je connais la réputation du château. » Dit-il d’une voix hésitante, il ne savait pas s’il devait tout dire sur son but ou non à la domestique. Le fait qu’elle sache peut-être quelque chose, le motivait à en dire un peu mais pas trop. « Et je n’y crois guère. » Conclut-il avec prudence.

*Quitter les lieux alors que je n’aurais pas le luxe de chercher ailleurs ? Même avec une bonne raison, je ne le ferais pas.*

« Il vaut mieux en effet que vous l’ignorez. »
La réponse ne c’était pas faite attendre, et alors même que Marie aurait du savoir que certaines choses – comme l’arrogance des nobles – ne changerait pas même au bout d’un siècle, elle sentit la moutarde lui monter au nez. Voila près d’un siècle qu’elle était ici, et elle se laissait encore traiter comme une moins que rien. Si cet homme n’avait pas eu l’air si malade, Marie ne se serait pas gênée pour laisser cours à sa mauvaise humeur – du moins, elle aurait essayé, car le fait d’avoir démonté cette horrible lampe de plusieurs dizaines de kilos et de l’avoir par la suite jetée par la fenêtre l’avait vidée de son énergie, et la petite promenade à travers la moitié du château en compagnie de ce vampire n’avait rien arrangé.

Pourtant, sa dernière phrase semblait avoir capté l’attention du vampire, qui leva enfin le nez de son livre et la regarda comme si elle venait d’apparaître brusquement sous ses yeux. Il paraissait étonné, peut-être même intéressé. Étais-ce donc l’un de ces illuminés qui s’intéressaient aux histories de fantômes, ou simplement un original qui cherchait à attirer l’attention ? En tout cas, ce que Marie avait dit semblait l’intéresser, car le regard que l’homme posait désormais sur elle lui donnait l’impression qu’ils étaient tout deux entrain de planifier un meurtre.

« Je connais la réputation du château» , finit-il par avouer, alors que Marie s’en doutait déjà depuis un bon moment. Décidemment, ce n’était pas son jour…d’abord, elle avait du libérer la salle de bal d’une faute de goût impardonnable, pour ensuite devoir servir de guide à un illuminé qui, sous l’impulsion de sa maladie probablement, manifestait un soudain intérêt pour les histoires de fantômes et de châteaux hantés.
« …Et je n’y crois guère », finit-il pourtant par conclure, ce qui avait le chic de déconcerter Marie. Elle ne savait pas si elle aurait préféré un homme passionné par les fantômes et un brin énervant à ce septique de première probablement passionné de légendes et de vieux bouquins, tellement accro qu’il irait sans doute jusqu’à sacrifier sa santé sur l’autel du savoir.

Alors qu’elle n’avait plus besoin de respirer depuis presque un siècle, Marie poussa pourtant un léger soupire. Non seulement, ce noble était hautain, froid, cynique et avait un physique à vous flanquer la chair de poule, mais il s’avérait que ce spécimen semblait être particulièrement têtu. Bien sur, elle aurait pu s’énerver et traverser le mur pour aller voir ailleurs, mais deux choses la retenaient encore : D’un côté, elle avait encore et toujours pitié de cet homme qui n’avait aucune idée du danger qu’il courait, de l’autre, elle devait avouer qu’elle n’avait pas vraiment envie de passer les cent prochaines années dans le même château que cet individu, qui lui faisait déjà peur entant que vivant et qui serait carrément terrifiant en fantôme.
« C’est ce qu’ils disent tous…en arrivant », répondit la domestique et hésita à faire encore un pas en avant afin de pouvoir chuchoter. Pourtant, si elle s’approchait encore, cette homme n’aurait que’à tendre la main pour la toucher…et il passerait sans doute à travers son corps, car Marie avait grillé ses dernières forces en tentant d’ouvrir la porte et était désormais à peine capable de conserver l’illusion d’un corps matériel.
« …Et après, il repartent…ceux qui ont de la chance repartent sur leur deux jambes…et dans votre état, vous feriez bien d’en faire autant très rapidement. »

« C’est ce qu’ils disent tous…en arrivant »
En entendant cela, Eric ne savait pas s’il devait rire ou bouillir de rage. La domestique essayait-elle de l’intimider avec des légendes stupides ? Légendes certainement créer par des ignares. Ou bien était-ce une menace ?
Elle la prenait pour le premier venu, apparemment et il s’en sentit vexé. Il était certain de trouver, pour la simple raison qu’il n’avait pas d’autre choix.
Il fut de nouveau surpris, en entendant la domestique parler de son état. Ainsi, il avait eu tord, elle avait insisté à sa crise dans la salle de bal. Pourtant, elle s’obstinait à argumenter pour qu’il quitte l’hôtel.
Il hésitait, évaluait la situation. La seule chose qui le retenait de congédier purement et simplement la domestique, c’était qu’elle pouvait avoir des informations intéressantes.
Devait-il tout dire ? Les domestiques étaient réputés pour ne pas savoir tenir leurs langues. Il ne tenait pas à ce que tout le monde sache qu’il était mourant.
Pourtant les incitations pour son départ, l’énervait au plus au point. D’autant plus qu’il perdait du temps.
Sa première idée était de saisir soudainement le bras de la domestique et l’obliger à dire tout ce qu’elle savait. Mais il se doutait que ce n’était pas la bonne solution.
Il fallait jouer plus finement.

« Si j’avais vraiment le choix, croyez bien que je ne m’attarderais pas ici. Toutefois, les circonstances m’y obligent. » Avoua-t-il avec un soupir las. Il fallait faire comprendre qu’il ne pouvait partir si facilement tout en essayant d’obtenir des informations.
« Et quels seraient les fameux dangers qui me menaceraient ? » Demanda-t-il, sincèrement soucieux de ce qui pourrait lui tomber sur la tête.

*J’espère qu’elle ne répondra pas uniquement par des fantômes.*
Songea-t-il. Il commençait à entrevoir une autre possibilité de danger, si le château possède le remède qu’il cherche, il ne serait pas étonnant qu’il soit garder ou même piéger.
Savoir un lieu précis chargé de manifestations étranges, lui indiquerait où chercher.
Et si la domestique était si presser de le voir déguerpir, ne pouvait-elle pas l’aider à accélérer son départ ?

Alors que le silence menaçait se tirer en longueur, Marie voyait bien que l’homme luttait pour conserver son sang froid. Il n’avait visiblement pas l’habitude de se faire dicter sa conduite par une simple domestique, mais face à cet exemplaire-ci, il allait devoir s’y faire. Allait-il crier ? Tenter de la saisir ou l’injurier ? Si il criait, il se rendrait simplement malade, si il tentait de la saisir, il allait pas même réussir à la toucher, si il l’injuriait – eh bien – ce serait peut-être Marie qui ne parviendrait plus à garder son calme. Une fois, il y avait presque un siècle de cela, un homme de cette espèce lui avait dit des choses qui raisonnaient encore et toujours dans ses oreilles…et la domestique s’était jurée que cela n’arriverait plus jamais.

« Si j’avais vraiment le choix, croyez bien que je ne m’attarderais pas ici. Toutefois, les circonstances m’y obligent» , choisit-il finalement de révéler, provoquant l’étonnement du jeune esprit. Que pouvait-il bien chercher ici ? Visiblement, il était riche et aurait très bien pu quitter cet endroit lugubre pour aller prendre les eaux ou tenter de se refaire une santé au bord da la mer.
Si vous voulez, j’échange ma situation contre la vôtre…c’est quand vous voulez!, songea la domestique avec une pointe d’amertume, mais garda le silence alors que l’homme reprenait:
« Et quels seraient les fameux dangers qui me menaceraient ? », demanda-t-il finalement, visiblement résigné à subir les bavardages insensés d’une jeune idiote qui pouvait pourtant lui révéler quelques secrets de ce château.

Marie se sentit tentée de lever les yeux au plafond mais…oh, et après tout, pourquoi pas. Que pouvait-il faire contre elle ? La faire quitter le château ? – Marie n’en demandait pas mieux. La jeune servante croisa donc ses bras fins devant la poitrine et leva les yeux au plafond, un peu comme si elle avait à faire à un élève particulièrement borné.
« Je vous l’ai dit : Rien de bon ne peut venir d’ici. Or, si je devenais plus directe, soit en vous disant que ce lieu est…d’une certaine manière…mal fréquenté, je suis persuadée que vous ne me croiriez pas, puisque vous semblez faire partie de ceux qui se plaisent à chercher l’évidence même dans les livres au lieu de lever le nez et de regarder droit devant eux. »

Rien à dire, ça faisait du bien. Il y avait eu un temps où Marie se serait tue, aurait baissé les yeux et n’aurait jamais osé prononcer ne serais-ce que le tiers de ce qu’elle venait de dire. Elle l’aurait pensé, tout doucement, sans jamais se trahir…mais maintenant, les choses étaient différentes. Certes, ce petit triomphe personnel était d’un goût douteux…mais Marie estimait qu’elle en avait de loin payé le prix.

Les efforts que faisait Eric pour garder son calme était de plus en plus visible. En réponse à la domestique, il lui décocha un regard meurtrier.
Par miracle, il ne s’emporta pas. L’attitude de la domestique lui confirmait qu’elle savait quelque chose. Sinon elle n’aurait jamais employé un tel langage vu son rang. Elle devait se sentir en position de sécurité voir de supériorité pour lui faire de tel remarque.

Brusquement, il eut un sourire indulgent. Il inclina légèrement la tête comme s’il félicitait Marie pour avoir toucher juste avec ces paroles. Il se détourna alors de la domestique avec un effet de cape, replongea un instant son attention sur les livres qu’il avait posés sur la table.
Peut-être dirigeait-il doucement ce que lui avait dit la domestique, toutefois il garda un pieu silence avant de se retourner tout d’un coup et d’enfin répondre enfin à Marie.

« Et je vous ai dit également : les circonstances m’obligent à m’attarder ici. Vous semblez tout aussi prompte à tenir des conclusions que je le suis. Je serais donc tout aussi directe que vous. Je ne suis pas fou au point de me condamné moi-même et c’est ce que je ferais en partant immédiatement d’ici. J’admets cependant que vos intentions sont louables, si j’étais venu par simple curiosité ou pour me changer les idées, je vous aurais sans doute écouté. » Il martelait chaque mot avec un calme posé mais qui couvre fort peu sa hâte d’en venir droit au but.
Son souffle devenait court et la fière naissante lui faisait parfois hausser le ton. Bref, tous les symptômes d’une nouvelle crise. Ce qui le força à respirer profondément et de fermer les yeux pour se concentrer.
Il les réouvrit presque immédiatement et regarda droit dans les yeux la domestique, d’un regard perçant.

« Et si… J’étais disposé à vous croire sur parole, quoi que vous me racontiez, que diriez-vous ? » Dit-il avec une étonnante politesse et surtout de la curiosité.

Durant quelques instants, Marie eut la certitude que l’homme allait perdre son sang froid et s’efforcer de remettre cette domestique culottée à sa juste place. Pourtant, alors que le jeune esprit se préparait à toute éventualité, son interlocuteur eut une réaction que Marie avait été bien loin d’imaginer: A sa grande surprise, l’homme ne se mit pas à crier, mais eut soudain un sourire que la domestique ne parvint pas à interpréter. Ou bien, les nobles avaient bien changé en un siècle seulement, ou alors, cet homme ne fonctionnait pas comme le reste du troupeau. Peut-être étais-ce le fait qu’il était malade ou alors, il avait quelque chose derrière la tête dont Marie ne se doutait pas.

Alors que la jeune femme avait perdu une bonne partie de l’assurance qu’elle ressentait encore une minute plus tôt, l’homme se détourna d’elle avec un mouvement de cape digne d’une représentation Shakespearienne et se replongea dans le livre qu’il avait saisi en entrant. Marie resta sans voix. Elle qui avait cru, au bout de toutes ces années, connaître par cœur ce genre d’individu…et voila qu’elle se trouvait face à l’exception qui confirmait la règle.

« Et je vous ai dit également : les circonstances m’obligent à m’attarder ici », finit-il par répondre après s’être retourné d’un bloc vers Marie qui avait, à sa grande surprise, presque fait un pas en arrière.
« Vous semblez tout aussi prompte à tenir des conclusions que je le suis », continua-t-il alors que Marie n’en revenait pas de voir ce type la souffler sur son propre terrain, celui de la répartie osée face à un parfait inconnu.
« Je serais donc tout aussi directe que vous. Je ne suis pas fou au point de me condamné moi-même et c’est ce que je ferais en partant immédiatement d’ici. J’admets cependant que vos intentions sont louables, si j’étais venu par simple curiosité ou pour me changer les idées, je vous aurais sans doute écouté. »
Cette fois, Marie ne pu cacher son étonnement : Il l’aurait écouté ? LUI ? Ecouter une domestique ? – Décidemment, cet homme n’était pas fait de la même matière que les nobles que Marie avait pu rencontrer jusque là. Plus aussi sure d’elle, la domestique leva les yeux et vit qu’il l’observait. Encore une fois, elle du se faire violence afin de se rappeler que c’était elle qui était sensée faire peur…et non le contraire.

« Et si… J’étais disposé à vous croire sur parole, quoi que vous me racontiez, que diriez-vous ? »
Etait-il sérieux ? – Marie avait l’impression folle que tel était bel et bien le cas. Cet homme étrange respirait difficilement et ne donnait pas l’impression d’avoir envie de passer son temps à se moquer d’une simple domestique. Donc…il devait être sérieux.

Avec peine, Marie réussit à détourner les yeux du visage livide qui lui faisait face et de balayer les étagères remplies de livre du regard. Il allait savoir…tôt ou tard…alors…pourquoi pas tenter sa chance ?
« Eh bien…je dirais que, avec un peu de chance, vous pourriez trouver quelque part dans les archives du château d’étranges histoires qui se regroupent toutes vers un seul et unique sinistre fait divers qui remonte aux années 1350 : A l’époque de la peste, une jeune Duchesse – fière, égoïste et obsédée par sa beauté légendaire - fait un pacte avec le Diable pour sauver son extraordinaire beauté, sans pour autant se rappeler que le malin est rusé. Bref…elle comprend trop tard qu’elle a été trompée, meurt quelques temps plus tard et impose ainsi sa propre malédiction à toute personne qui vivra ses derniers instants entre ces murs, créant, au fil des ans, toute une horde de fantômes dont elle est la triste aînée… »

Marie avait raconté cette histoire qu’elle connaissait si bien d’une voix monotone, comme si elle avait récité une liste de courses ou un devoir particulièrement ennuyeux. Le regard toujours fixé sur les veux livres poussiéreux, elle s’avança vers l’étagère la plus proche. Clémence…tout était la faute de Clémence…cette maudite oie blanche qui n’avait jamais vu plus loin que le bout de son joli nez.

Alors que Marie allait se retourner pour refaire face à l’étranger, elle remarqua avec effroi qu’elle se tenait en plein milieu d’une table en chêne massif, n’ayant pas fait attention à ses pas. Au fil des ans, elle avait perdu l’habitude de contourner les meubles dans les pièces, préférant la voie directe à la course d’obstacle. Pourtant, elle allait avoir de la peine à expliquer à cet homme comment une plaque de bois d’une dizaine de centimètre d’épaisseur la traversait de part en part au niveau du nombril.
Lentement, Marie se tourna et fis quelque pas en direction de l’homme. Cela n’aurait pas du se passer ainsi, mais puisque le ma était fait…autant lui faire comprendre du danger qu’il courait en restant au château.
« Vous devriez croire aux histoires de Fantômes, Monsieur…vous êtres entrain d’en vivre une. »

Eric écouta attentivement ce qu’avait à lui raconter la domestique. Certes, il s’agissait de la version qu’il avait lue et qui l’avait entraîné jusqu’ici mais il était toujours intéressant d’entendre l’histoire contée par quelqu’un d’autre. Particulièrement lorsqu’il s’agissait d’un habitant du château.
En effet, ce que disait Marie était légèrement différent de ce qu’il avait lu.

Quelque part dans les archives… Voilà un renseignement plus utile que mon trop vague plan de recherche.

Il décortiqua mentalement les paroles qu’il avait entendues. Les trouvant très instructif bien qu’encore fort brumeuse. Chaque mots avaient son importance. La fin de l’histoire l’intriguait beaucoup. A toute personne qui vivra ses derniers instants… Ce qu’il avait lu de la légende n’avait jamais fait notion de cela, du moins précisément.
Bien sûr, il ne croyait toujours pas aux fantômes et soutenait sa théorie sur un remède miraculeux se trouvant ici.

Mais il suffirait de séjourner ici pour en bénéficier ? Cela me semble trop simple.

Il allait questionner davantage la domestique lorsque la chose se produisit. En voulant se retourner vers lui, la jeune domestique venait tout simplement de traverser la table, sous les yeux écarquillés de son interlocuteur.
Evidemment, faire croire aux gens que les fantômes existaient était le métier d’Eric. Il connaissait tous les tours. Il utilisait des projections d’image pour simuler une transparence identique à ce que faisait Marie, c’était une invention avant-gardiste qu’il avait découverte lors d’un de ses voyages.
Donc, voir la domestique ainsi ne le fit pas croire plus aux fantômes qu’avant. Ce qui l’étonnait, c’était à quel moment l’échange avait été fait.
La domestique était entrer… avait-elle eu des complices qui plaçaient les appareils pendant qu’elle le guidait vers la bibliothèque ? L’échange aurait eu lieu pendant que la domestique hésitait à sortir ?
Cela semblait fort probable et Eric remarqua que le travail était parfait.

Alors que la domestique concluait par une phrase qu’il jugea théâtrale, un sentiment de déception envahissait un instant le visage d’Eric Wirral.
Tandis qu’il croyait avoir enfin des renseignements, un effet de scène survenait pour tenter de l’effrayer.
Il parcourut la bibliothèque du regard avec curiosité pour chercher d’éventuels indices de la présence des appareils de projections.

Rien. C’est extraordinairement bien camouflé.
Pensa-t-il avec une certaine admiration professionnelle.

Pourtant en se rappelant ce que lui avait dit Marie, tout s’expliquait lentement. Les paroles en parlant de Clémence, de toute évidence la domestique ne la portait pas dans son cœur. Se pourrait-il qu’elle l’ait rencontrée ?
Eric sentit les battements de son cœur s’accéléré à l’idée que cela puisse être vrai. Il n’espérait pas tant…

« Alors… vous êtes… » Dit enfin Eric en regardant de nouveau Marie.
N’osant pas finir sa question, Eric se détourna et croisa les bras, le regard plonger dans le doute. Devait-il demander les explications qui lui tiraillaient l’esprit ? Il avait une certaine crainte de la réponse.

Après un silence, il reprit la parole.

« Et donc, si, d’une manière ou d’une autre, je devais mourir ici, que m’arriverait-il ? » Demanda-t-il finalement avec une appréhension palpable dans ses paroles.

Alors que Marie s’était mentalement préparé à de la stupeur, une réaction de paniqueroù à la possibilité de voir le vivant tout simplement tomber à la reverse, elle fut, une fois de plus, surprise par la réaction de cet homme décidément surprenant. Sa réaction ne ressemblait en rien à ce que Marie avait pu « vivre » précédemment, car sur son visage – après un instant de stupeur – se dessina une expression dans laquelle le jeune esprit cru percevoir de la curiosité. C’était insensé…cet homme ne semblait pas avoir peur, plus, il ne paraissait même pas particulièrement surpris. Marie ne comprenait plus rien…alors qu’elle, même bercée par des histories de revenants dès sa plus tendre enfance, avait un une peur bleue lors de sa première rencontre avec un esprit, cet homme paraissait au mieux curieux. Les choses avaient-elles autant changé en un siècle seulement ? L’homme moderne n’avait-il donc plus peur de rien ?
En tout et pour tout, Marie oscillait désormais entre le soulagement de ne pas devoir assister à une nouvelle crise de son interlocuteur et l’impression un peu vexante que sa place était désormais tout au fond d’un tiroir avec des vieux livres de contes poussiéreux…

« Alors… vous êtes… », Commença-t-il finalement, alors que le doute se lisait encore sur son visage. Au lieu de scruter l’esprit qui lui faisait face, ses yeux s’étaient baladé dans la pièce, visiblement à la recherche de quelque chose, avant de s’arrêter finalement sur elle.
Un nouveau silence s’installa dans la pièce, alors que Marie hésitait à répondre par la négative. Peut-être était-il encore temps…peut-être, si elle lui révélait que ce château soi-disant hanté n’était en réalité qu’un attrape touriste pour des mystiques britanniques du dimanche, il finirait par s’en aller.
…Que pouvait-elle bien faire ?

« Et donc, si, d’une manière ou d’une autre, je devais mourir ici, que m’arriverait-il ? », finit-il par demander, si bien que Marie ne su plus sur quel pied danser. A présent, elle aurait voulu fuir, se cloîtrer dans sa mansarde ou dans sa tour de garde. Pourtant, si elle filait maintenant en traversant le mur, ce serait pour cet home une raison de plus de rester, afin d’enquêter sur cette soi-disant supercherie. Non...il allait falloir qu’elle lui dise, qu’elle lui fasse comprendre que tout cela n’avait rien d’un conte d’épouvante pour enfants et pour les touristes crédules. Peut-être s’en irait il après…

« Ce qu’il vous arriverait ? – La même chose qu’à moi et qu’à tous les autres avant vous, Monsieur. »
Marie baissa les yeux sur ses mains.
« Je m’appelle Marie. J’ai été domestique au château entre 1791 et 1792…et je ne sais plus depuis combien de temps exactement je suis ici... »
Marie s’interrompit. Stop. Elle n’avait pas envie de parler de ça, et surtout pas à un vivant qu’elle voyait pour la première fois. Pourtant, le fait qu’il semblait encore et toujours douter la piquait au vif. Le jeune esprit finit par s’approcher jusqu’à une distance de moins d’un mètre de son interlocuteur. Cette curiosité était…tout simplement incroyable. Alors qu’elle commençait à se sentir comme un animal de foire sous le regard inquisiteur de cet homme, Marie leva lentement sa main droite en même temps que son regard sombre, et la tendit dans la direction du vivant.
« Si vous n’en croyez pas vos yeux…alors vérifiez par vous-même. »

Devant la réponse de Marie, Eric était assez perplexe. Ainsi, il lui suffisait de rester là à attendre sa dernière heure pour être touché par la fameuse malédiction ? Il ne comprenait pas ce qui pourrait engendrer cela et préféra donc ne pas s’y fier.
Après tout, c’était assez risque et il n’avait pas droit à l’erreur.

*Sans doute n’est-ce qu’une ruse.*

Il était logique qu’on ne dise pas la vérité au premier venu qui le demandait. La mise en scène de ce qu’il prenait pour un faux fantôme lui faisait penser cela, en tout cas.
D’ailleurs la brusque interruption de la domestique dans ses révélations laissa penser au faux médium qu’il devra faire à son tour quelques révélations s’il veut obtenir plus d’information.

Pourtant lorsqu’il vit la jeune fille s’approcha de lui et tendre la main dans sa direction, il ne savait quoi faire. Dire froidement qu’il connaissait ce petit tour pour l’avoir déjà pratiqué pourrait vexer son interlocutrice et donc lui ôter une bonne chance d’atteindre son but. Bien sûr, ce n’était pas la première fois qu’il devait éviter de mettre en colère quelqu’un mais dans les autres cas, sa vie n’était mise en jeu.
La curiosité l’importa sur la prudence et il tendit à son tour sa main pour toucher celle tendu de la domestique. Il la retira vivement lorsque ses doigts passèrent au travers de la paume de Marie, comme si le contact avait provoqué une vive douleur.
C’était étrange, il savait ce que produisait des illusions semblables à celle qu’il faisait mais… là, il s’agissait d’une sensation différente.

« Ce qui m’a poussé à venir ici, ce n’est ni un pacte avec le diable ni une histoire de fantôme. » Commença-t-il doucement. « Il se trouve que j’ai un point commun avec la Duchesse Clémence. Ce n’est certes pas la peste, mais la maladie qui me ronge est tout aussi mortelle. »

Tout comme si il avait tendu la main vers un brasier, son interlocuteur la retira vivement lorsque ses doigts passèrent à travers la paume de Marie. Le jeune esprit ne pouvait aucunement l’en blâmer car, même face au plus grand des sceptiques, toucher un fantôme n’était pas une expérience très agréable et ressemblait à ce qu’on ressentait lorsque l’on plongeait la main au fond d’un seau d’eau gelée. Du moins, c’est comme ça que Marie se remémorait son premier contact physique avec un revenant. Du bout des doigts, l’impression de froid intense était montée jusque dans son avant-bras, si bien qu’elle avait retiré sa main le plus vite possible, tout comme cet homme venait de le faire.
Pourtant, une fois encore, l’homme parvint à garder son calme. Pour Marie, qui avait cru défaillir lors de son premier contact avec un esprit, ce calme presque résigné était à la fois surprenant et un brin énervant.

« Ce qui m’a poussé à venir ici, ce n’est ni un pacte avec le diable ni une histoire de fantôme » , finit-il enfin par révéler alors que Marie laissa retomber sa main le long de son corps. Pour la première fois, l’homme paraissait sincère. Il y avait du progrès et pourtant, le jeune esprit comprenait encore moins ce que cet homme pouvait bien venir faire ici. Un début d’explication ne tarda pas à arriver.
« Il se trouve que j’ai un point commun avec la Duchesse Clémence. Ce n’est certes pas la peste, mais la maladie qui me ronge est tout aussi mortelle. »

Sans réfléchir, Marie hocha la tête. Cet homme empestait la maladie, c’était l’évidence même pour un esprit aussi sensible que le sien. Même si elle n’aimait pas l’admettre, cet homme lui disait la vérité : Il était gravement malade et, si il s’obstinait à s’enfermer entre ses murs, il n’en avait plus pour longtemps. Peut-être allait il mourir de toute manière, mais si il quittait le château pour des cieux plus cléments, il avait peut-être encore une chance de s’en sortir. Après tout, tout le monde avait cru qu’elle allait mourir lorsque Marie avait eu sa pneumonie…et elle avait survécu.
Mais alors, qu’est-ce qu’un homme aussi malade venait-il chercher ici ? Un remède peut-être, qu’il espérait obtenir avec l’aide de Clémence ? Était-il assez fou pour croire que cette égoïste notoire allait s’inquiéter de ses problèmes ?

Lentement, d’un air presque navré, Marie secoua la tête. A environ deux mètres d’elle, la fenêtre la plus proche se couvrit lentement de givre. Lorsque Marie était triste, il faisait froid…

« Et qu’espérez-vous trouver ici ? Un remède, peut-être ? Ou…simplement une partenaire pour une conversation philosophique sur la maladie et la mort en la personne de Clémence ? »Sans le vouloir, le jeune esprit eut un rictus de mépris – comme chaque fois qu’elle parlait de celle qui se faisait appeler la Dame Blanche.
« Si vous croyez que Clémence s’inquiètera de vous pour vos beaux yeux, vous vous trompez. Elle n’a cure ni de vous, ni de moi, ni de personne, qu’il soit vivant ou mort. Tout ce qui l’intéresse, ce sont ses roses et sa petite personne. Non…si vous voulez sauver votre peau, vous n’êtes pas à la bonne adresse. Partez d’ici, allez au bord de la mer, quelque part ou il y fait chaud et…advienne que pourra. »

Au fond, Marie cherchait encore la raison pour laquelle elle mettait tant d’énergie à éloigner ce vivant, pourtant quasi condamné, de ce château, lorsqu’elle réalisa qu’elle voulait qu’il fasse ce qu’elle aurait du faire il y a tant d’années : Quitter ces lieux pendant qu’il en était encore temps.

Eric ne put faire aucun rapprochement entre le froid s’étant abattu soudainement dans la pièce et la tristesse de Marie, il n’y vit même pas une raison surnaturelle. Son état fiévreux quasiment constant l’avait habitué à frissonner alors que le soleil brillait où à avoir des suées de chaleur quand il faisait froid. Il croyait donc que la température lui jouait encore des tours et qu’il serait le seul à ressentir cela.
Son objectif étant mit rapidement à jour, il en fut un peu blessé. Même s’il l’avait fait volontairement pour que la domestique cesse d’essayer de le faire partir.
Il fusilla Marie du regard.

« Exactement. Un remède. » S’emporta-t-il soudainement. Il n’aimait guère qu’on prenne sa recherche pour une bêtise. Il se calma tout de même pour poursuivre mais on pouvait sentir une certaine fougue demeurant dans ses paroles. « J’ose espérer cela, excusez-moi du peu. N’est-il pas légitime pour un mourrant de trouver une solution afin de s’accrocher à la vie ? Et si personne ne me vient en aide, je chercherais par moi-même. Que je trouve ou non, cela mais préférable qu’à me condamner en partant d’ici. Vous me conseillez de changer d’air, d’aller en bord de mer mais qui sait si je ne rends pas mon dernier souffle en route ? Je ne suis pas venu ici par caprice mais parce que je n’avais pas d’autre choix. »

Il ne comprenait pas pourquoi Marie bien que connaissant son état continue de le pousser à partir. Il perdait un temps précieux, bon sang ! Alors que si elle consentait à arrêter ses histoires de fantômes, elle pouvait lui donner de précieuses informations qui le ferait tellement avancer. Il y avait sans doute une explication et Eric se promit d’y réfléchir à tête reposée. Toutefois pour l’instant, ce n’était pas encore le moment idéal pour le faire.

Petit à petit, Marie eut la désagréable impression que cet homme ne voulait pas comprendre . Comment pouvait-il avoir un esprit aussi désespérément cartésien dans l’état dans lequel il se trouvait ? A sa place, Marie n’aurait pas hésité une seconde, aurait fait ses valises afin de quitter cet endroit maudit dans les deux heures suivantes, or lui, au lieu de l’écouter, éleva soudain la voix. Oui, c’était bien un remède qu’il cherchait !

Marie sentit que le vivant avait de plus en plus de peine à garder son sang froid. Pourtant, alors qu’il continuait son monologue tout en s’efforçant de garder son calme, Marie comprit mieux pourquoi il tenait tant à rester : Alors qu’elle n’avait pas voulu l’admettre, elle du se rendre à l’évidence que cet homme était bel et bien mourant – du moins, il semblait y croire dur comme fer. Si il s’énervait contre elle, c’était qu’il avait peur et cherchait désespérément la moindre lueur d’espoir pour s’y accrocher alors qu’elle avait passé son temps à lui assurer qu’il n’avait aucune chance.

Finalement, Marie eut pitié de lui. Cet homme sans nom au visage fiévreux était désespéré et devait sentir l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête. Finalement, elle eut l’impression qu’elle n’allait pas parvenir à lui faire comprendre qu’elle n’avait pas l’intention de lui nuire, mais de l’aider. Peut-être qu’un changement de tactique s’imposait.

« Je sais que vous êtes malade et que vous avez peur, même si je n’ai pas eu moi-même le loisir de m’accrocher à la vie bien loin. Or, j’ai l’impression que, quoi que je face, vous n’allez pas me croire avant de vous en convaincre par vous-même. Vous êtes décidément du genre têtu… »

Marie se détourna un instant et laissa errer son regard sur les différentes étagères, tout en essayant de se rappeler où pouvaient bien se trouver les livres contenant les histoires de la région. Lorsqu’elle parvint finalement à s’en souvenir, elle se dirigea vivement vers un petit buffet à coté des étagères massives, mais lorsque la servante tenta de l’ouvrir, elle s’aperçu qu’elle avait été fermée à clé. Visiblement, on ne souhaitait pas faciliter le travail à des gens qui voulaient en savoir trop.
« La clé… », murmura Marie en fronçant les sourcils, « où ont-ils bien pu mettre la clé…je ne m’en souviens plus… »

Finalement, la servante poussa un petit soupir, plia les jambes et passa sa main à travers le bois massif. De l’autre côté, elle laissa courir ses doigts jusqu’à trouver ce qu’elle recherchait. Elle du pourtant rassembler une nouvelle fois ses forces pour actionner le mécanisme de l’intérieur et pour finalement ouvrir le meuble, libérant la vue sur une série de recueils visiblement anciens.

« Voila…ce sont des volumes écrits dans la région. Des recueils de légendes, quelques papiers officiels de la mairies et je crois qu’il doit même y avoir des listes ayant appartenu à l’église. Allez-y, fouillez, puisque vous ne pouvez pas faire autrement et, si vous ne trouvez rien…allez voir à la cave. De mon temps, j’y ai trouvé des listes du personnel classées par année, mais je ne peux pas vous garanties qu’elles y soient encore après toutes ces années… »

Épuisée par ces nouvelles prouesses dans le domaine de la matérialisation, Marie se laissa tomber sur une chaise, posa les deux coudes sur la table en bois massif et regarda l’homme qui lui faisait face, tout en se permettant un peu de transparence dans son aspect. C’était moins fatiguant que de donner l’impression d’un corps matériel.
Clémence va me tuer si elle se rend compte que j’ai ouvert tous ses petits secrets à cet humain…oh, elle ne va pas apprécier... face à cette pensée, Marie ne pu s’empêcher de sourire. Après tout, la vengeance était un plat qui se mangeait froid.

Eric s'attendait à une nouvelle argumentation pour plaider sa cause. Même s'il sentait une légère amélioration dans les premières paroles de Marie.
Il n'aimait pas être si facilement cerné mais il n'avait pas le choix, il fallait lui faire comprendre. Eric devait donc ravaler sa fierté pour pouvoir obtenir des informations. Après tout, sa fierté ou son honneur ne lui serait d'aucune utilité s'il mourait.
Il fut intrigué de voir Marie se diriger vers un meuble. Puis de l'entendre se demander où était passé une certaine clef. Le faux médium regarda la domestique cherché sans intervenir, pour ne pas la faire changer d'avis.
L'espoir d'avoir finalement une aide lui vint mais ce sentiment fut vite étouffé quand il vit Marie prendre la clef. Il en fut stupéfait car jusqu'à maintenant il pouvait croire que la transparence de la domestique était du à un système de projection semblable à ceux qu'il utilisait pour faire croire aux fantômes.
Il avait même plus ou moins déterminé le moment où l'échange entre la vraie Marie et la projection avait été fait. Toutefois, là cela dépassait ses connaissances.
Il avait vu, il y a deux minutes, la main de la domestique passer au travers du meuble et ne l'avait pas quitté des yeux depuis. Comment pouvait-elle donc saisir la clef dans ce cas ?
Extrêmement têtu et cartésien, il se refusait à croire la théorie du fantôme.
Il se rassura plutôt devant une thèse plus plausible. Il est normal que des personnes pouvant trouver un remède à des maladies comme la peste aient pu améliorer le système qu'il utilisait pour rendre plausible l'existence des spectres.
Oui, ce ne pouvait être que cela. Et il fut donc rapidement rassuré.
Il s'approcha finalement du meuble à présent ouvert et contempla les recueils avec une lueur d'excitation.
Avoir subitement une aide si précieuse le laissa sans voix. Il savait qu'il était redevable à Marie pour ce geste et n'était pas habitué à devoir des remerciements à quelqu'un.
D'ordinaire, quand il désirait quelque chose, soit il l'obtenait par la menace soit en négociant quelque chose. Ce n'était pas le cas, bien qu'il ait l'intuition que Marie devait certainement avoir quelque chose à y gagner.
Il s'était aussi rendu compte qu'il ne devrait normalement pas avoir accès à ces recueils et qu'il devra donc user de prudence.

"Merci infiniment." Réussit-il à dire finalement.

Au premier moment, Marie n’en croyait pas ses oreilles : Ce type venait-il de la remercier ou avait-elle eu des hallucinations ? Les fantômes pouvaient-ils avoir des hallucinations ? Marie croyait que non, si bien qu’elle du se rendre à l’évidence : ce nobliau si cartésien venait de remercier un fantôme. Il était cabale de progrès !

Alors qu’il s’était jeté sur le contenu du buffet comme une bête sauvage, Marie resta sur sa chaise, tenant sa tête dans le creux d’une main et observa le vivant entrain de poursuivre sa recherche. Bien sur, elle aurait pu tout aussi bien le laisser seul, mais où pouvait-elle bien aller ? En haut, dans la tour de garde pour s’asseoir près de la fenêtre et regarder la route ? Dans sa mansarde, peut-être, pour broyer du noir et écouter ses propres soupirs ? – Elle pouvait tout aussi bien rester là et profiter du fait d’avoir un vivant à ses côtés qui ne montrait pas le moindre signe de peur face à elle et avec lequel elle pouvait parler presque normalement.
…Et si il restait ? Et si il mourait ? Allait-il lui en vouloir de ne pas l’avoir forcé de quitter le château en lui donnant un coup de pied dans le derrière ? Marie se demanda durant un instant si elle devait véritablement donner un coup de pieds au derrière de cet homme mais, face à ce type têtu comme une mule, le résultat ne serait certainement pas à la hauteur.

Elle resta donc un long moment à le regarder travailler, gardant le silence tout le long. Puis, après mure réflexion, elle posa tout de même la question qui lui était venu à l’esprit :
« Et si vous trouvez…allez-vous prendre le risque d’affronter la Duchesse Clémence ? »